UTILISATION DE GÉOTEXTILES DERNIER CRI POUR LE RENFORCEMENT D’INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES
23-05-2018
Article paru dans l’édition Juillet 2018 de la revue ViaBitume.
Mise en contexte
Il a été discuté dans l’édition du 1er avril dernier de l’utilisation de géogrilles de fibre de verre afin de renforcer les enrobés bitumineux. Lorsqu’installées entre les couches de pavage, celles-ci permettent de réduire la formation d’ornières et d’empêcher la remontée des fissures réflectives. Aujourd’hui, il s’agit plutôt de descendre au fond de l’excavation afin de s’appuyer sur des bases solides. Si plusieurs ont tenté d’exploiter ce cliché depuis les 40 dernières années en développant différents types de produits, ce n’est que tout récemment que des géosynthétiques de renforcement complets et abordables ont fait leur apparition. Afin de concevoir le produit idéal, les experts du manufacturier TenCate-Mirafi, leader mondial en géosynthétiques, se sont penchés sur les fondements mêmes du renforcement géotechnique afin d’identifier les propriétés clés du géosynthétique optimal. Coup d’œil sur ces géotextiles dernier cri.
Conception routière – Critères à considérer
Facteurs menant à une dégradation des routes
Le développement d’une solution passe par une bonne compréhension du problème. Quels sont les critères à considérer en conception routière? Pourquoi les chaussées se dégradent-elles? Qu’est-ce qui cause les ornières, nids de poule et autres déformations? Faisons abstraction ici de la couche de bitume et concentrons-nous sur la fondation granulaire. Voici quelques phénomènes qui peuvent mener à une détérioration de la chaussée :
Faible capacité portante du sol support
Il est évident que la capacité portante du sol sur lequel on construit est d’une importance capitale. Un sol mou aura tendance à se consolider de manière hétérogène et mènera à des tassements différentiels, ce qui produira des ondulations sur la chaussée.
Contamination des couches de matériau granulaire
Sous l’action de charges dynamiques et du mouvement d’eau, les particules fines migrent d’un matériau granulaire à l’autre, diminuant ainsi les propriétés mécaniques des sols. Pour contrer le problème, des géotextiles de séparation/filtration sont placés entre les couches de matériaux granulaires dont la taille des particules diffère.
Déplacement des matériaux granulaires
Les charges normales élevées induites par les véhicules lourds créent un déplacement latéral des particules de sol, un peu comme lorsqu’on marche dans la boue et qu’on voit celle-ci remonter sur nos bottes par le côté. Il s’agit de la cause principale de la formation d’ornières.
Mauvais déplacement de l’eau contenue dans le sol
L’eau naturellement contenue dans le sol doit être en mesure de circuler. Un géotextile de faible permittivité (la permittivité définit la quantité d’eau que laisse passer un géotextile perpendiculairement à son plan) ou un géotextile colmaté ne laissera pas passer beaucoup d’eau, ce qui augmentera la pression interstitielle des sols et diminuera leur capacité structurelle.
Excès d’eau
Nappe phréatique haute, route située dans un point bas ou mauvais drainage. Une fondation granulaire ayant une trop forte teneur en eau verra sa capacité portante, et donc sa durée de vie utile, grandement diminuée. L’eau est également la cause des soulèvements dus au gel.
Comment qualifier un géosynthétique de renforcement?
La propriété qui prime en termes de renforcement est certainement le module en tension, i.e. la résistance à la traction à faible déformation. Trois mécanismes de renforcement sont en jeu ici : premièrement, c’est ce qui permettra de dissiper une charge normale induite par le passage d’un poids lourd et ainsi réduire la charge transmise aux matériaux granulaire sous-jacents plus mous en déplaçant le plan de cisaillement critique de la sous-fondation vers la fondation. On parle ici d’augmentation de la capacité portante par l’effet « raquette à neige ». Deuxièmement, le haut module en tension combiné à la friction s’opposeront au mouvement latéral des particules de sol, permettant ainsi de garder l’intégrité structurelle et dimensionnelle de la fondation granulaire. Troisièmement, l’effet de la membrane sous tension empêchera les granulaires de s’enfoncer dans des vides du sol mou sous le géosynthétique à la manière d’un filet. Le géosynthétique fait en quelque sorte office de pont. De manière générale, le module en tension est directement proportionnel aux performances de renforcement.
Lacunes des géosynthétiques conventionnels
Les géosynthétiques typiquement utilisés en construction routières permettent de régler certains facteurs de défaillance énumérés précédemment, mais n’offrent pas individuellement de solution complète. Voici un aperçu des propriétés et performances des produits conventionnels:
Géotextiles tissés à bandelettes
Très économiques, les tissés à bandelettes permettent de séparer les sols en plus d’offrir un léger renforcement. Cependant, leurs faibles capacités hydrauliques limitent leur utilisation aux conditions sèches. La faible permittivité des tissés à bandelettes empêche le mouvement d’eau et augmente la pression interstitielle des sols. De plus, leurs importantes ouvertures de filtration en font de piètres filtres. Certains produits composites utilisent un tissé à bandelette auquel on aiguillette de la fibre non tissée afin de diminuer ces ouvertures de filtration. Cependant, le composite ainsi créé possède également une faible permittivité. Étant donné leur mauvais rendement hydraulique, il serait judicieux de ne pas utiliser les tissés à bandelettes en conditions humides.
Géotextiles non-tissés
Les non-tissés sont les séparateurs par excellence. Ils sont économiques, possèdent de bonnes propriétés hydrauliques et ont de petites ouvertures de filtration, ce qui limite le déplacement des particules. Par contre, leur important allongement à la rupture leur confère un module en tension extrêmement bas. Pour cette raison, les non-tissés ne sont pas considérés comme des produits de renforcement.
Géotextiles tissés monofilaments
Ces géotextiles possèdent des brins de section ronde, contrairement aux tissés à bandelettes qui sont composés de bandelettes minces. Ces monofilaments ronds possèdent non seulement une meilleure résistance mécanique, mais confèrent également au géotextile une certaine épaisseur. En tissant des brins ronds au lieu de bandelettes, on crée une troisième dimension au géotextile qui permettra un débit d’eau supérieur. Ces géotextiles possèdent un module et des propriétés mécaniques supérieures aux géogrilles, cependant, plus on ajoute des brins dans le but d’augmenter la résistance mécanique, plus on réduit la permittivité du produit. Les débits d’eau admissibles sont beaucoup plus élevés que ceux des tissés à bandelettes, mais ce n’est pas optimal. Ces produits sont à ce jour peu utilisés au Québec.
Géogrilles biaxiales et triaxiales
Ces géogrilles sont l’outil de renforcement de sol classique. Leurs mailles sont conçues pour avoir une imbrication optimale avec les granulats, ce qui empêche leur déplacement et unifie la fondation granulaire. Cette famille de produits a cependant deux points faibles : 1) Aucun apport en séparation. Il faut donc impérativement les utiliser conjointement avec un géotextile non-tissé, ce qui augmente les coûts d’installation. 2) Leur résistance en tension et leur module en tension sont limités. Autre irritant : la largeur des rouleaux de géogrille diffère de la largeur des rouleaux de géotextile, causant ainsi systématiquement du gaspillage de matériel en chantier.
Avantages de la série RSi de TenCate-Mirafi
Le raisonnement derrière le développement de la série RSi est simple : identifier les causes de défaillance ou de vieillissement des routes en plus d’analyser les produits existants et cerner leurs faiblesses afin de produire un produit unique qui adressera chacune des problématiques. Les experts de TenCate-Mirafi ont donc modifié le processus d’extrusion des filaments qui composent les géotextiles tissés afin d’obtenir des fils de diamètres variables à ténacité ultra-élevée. Ces fils ont été tissés selon un nouveau procédé de tissage multicouche permettant d’intégrer une quantité importante de fils sans pour autant diminuer les propriétés hydrauliques. La série RSi représentent une nouvelle génération de géosynthétiques : les géotextiles tissés haute performance. Leurs avantages :
Module supérieur
Tel que mentionné précédemment, le module en tension est la propriété maitresse des géosynthétiques de renforcement. La série RSi surclasse haut la main tous les produits de renforcement typiques à ce chapitre.
Débit d’eau supérieur
L’eau doit pouvoir circuler. Le tissage multicouche confère à la série RSi une permittivité comparable à celle des géotextiles non-tissés.
Meilleure capacité de séparation
Le tissage multicouche et la forme variable des brins a permis de réduire les ouvertures de filtration. On obtient un filtre plus fin qui limite davantage le mouvement des particules, tout en laissant passer l’eau.
Meilleur confinement
La surface rugueuse de ces géotextiles leur confère une meilleure interaction avec les matériaux granulaires, ce qui permet un meilleur confinement des particules et limite leur déplacement.
Meilleure identification du produit
Des brins de couleur orange sont incorporés dans le tissage créant ainsi un géotextile facilement reconnaissable sur le chantier. Si c’est orange, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. Si ce n’est pas orange, des vérifications de conformité s’imposent.
Produit complet et polyvalent
En intégrant toutes les caractéristiques requises en construction routière, la série RSi met à la disposition des ingénieurs et entrepreneurs un outil unique. Fini les laborieuses installations multicouches de non-tissé et de géogrille. De plus, la granulométrie du matériel pouvant être mis en place sur un RSi est très permissive, c’est-à-dire qu’on peut mettre du sable ou un enrochement grossier. Les géogrilles biaxiales et triaxiales nécessitent quant à elles un matériel de gradation précise (MG20, 0-¾’’), obligeant ainsi l’entrepreneur à avoir le bon matériau granulaire sous la main. Bref, ce produit unique offre des performances supérieures sous tous points de vue, en plus d’être rapide et facile d’installation.
H2Ri : Mettre la barre encore plus haute
Comme si l’avènement de la série RSI n’était pas suffisante, TenCate a poussé l’innovation encore plus loin. Le projet est né à la suite d’une question adressée aux concepteurs routiers de la DOT de l’Alaska à savoir s’il y avait un problème avec les infrastructures routières qui qui ne pouvait pas être résolu à l’aide de géosynthétiques. La réponse a été unanime : les soulèvements dus au gel. On sort ici des sentiers battus pour s’attaquer à une problématique face à laquelle aucun autre géosynthétique de renforcement n’a de solution. Tout d’abord, il a fallu déterminer pourquoi les sols se soulèvent. Il y a 3 conditions nécessaires : 1) Les sols doivent être sensibles au gel, c’est-à-dire l’éventail allant des argiles silteuses aux sables fins. 2) La température doit être sous le point de congélation. 3) Présence d’eau, telle que nappe d’eau souterraine, infiltration, aquifère, etc. Comme nous n’avons pas de contrôle sur les points 1 et 2, le développement s’est fait sur le point 3 en tentant de trouver une solution à la présence d’eau. La solution est venue de brins de nylon extrêmement fins dont la surface très irrégulière est recouverte d’ondulations créant des micro-canaux. La dimension de ces canaux agencée au caractère hydrophile et hygroscopique du nylon permet le transport de l’eau par gradient capillaire (wicking). Ne pas se méprendre, les fils de nylon sont bien plus qu’un drain typique, car leur affinité pour l’eau crée littéralement un mouvement de succion qui peut faire voyager l’eau contre la gravité. Cette particularité permet l’évacuation de l’eau dans des conditions non-saturées, ce qu’aucun géodrain n’est en mesure d’accomplir. Ces brins ont été incorporé dans un géotextile tissé haute performance de la série RSi afin de créer un produit révolutionnaire : le H2Ri. On obtient ainsi un produit de renforcement de première classe qui, lorsque placé à la base d’une infrastructure routière, améliore les propriétés structurales des fondations, mais qui en plus évacue l’eau. L’évacuation de l’eau permettra non seulement de limiter les risques de soulèvement dus au gel, mais également d’améliorer la capacité portante et donc la durée de vie des ouvrages en augmentant le module résilient des couches de granulaires.
Comment intégrer ces produits aux conceptions?
Les méthodes de conception
Quelques méthodes de conception ont été développées au fil des années afin d’intégrer les géosynthétiques dans les équations de conception routière. Le modèle de design de chaussées non-pavées avec apport structurel de géosynthétiques le plus utilisé et reconnu internationalement est le modèle Giroud-Han, publié en 2004 dans l’«ASCE Journal of Geotechnical and Geotechnical Engineering». Son principe de fonctionnement est relativement simple : une équation générique à itérations considérant une dizaine de facteurs géotechniques et d’utilisation tels que la résistance mécanique du sol support, la résistance mécanique de la chaussée prévue, la densité et la charge du trafic et la profondeur d’orniérage admissible, calcule une épaisseur de matériau granulaire minimale à respecter. On intègre également à l’équation le facteur de calibration du géotextile ou de la géogrille utilisé dans la conception, ce qui permettra d’obtenir une structure de résistance équivalente composée d’un géosynthétique et d’une épaisseur inférieure de granulaire. Le facteur de calibration doit impérativement être déterminé par des essais exhaustifs en laboratoire pour chacun des géosynthétiques analysés. En résumé, il suffit d’entrer quelques valeurs spécifiques au projet dans un tabulateur et on obtient une épaisseur de granulaire requise ainsi que l’économie de matériau granulaire engendrée par l’emploi de divers géosynthétiques.
Pour ce qui est des chaussées pavées, le modèle le plus couramment utilisé est celui de l’AASHTO. La logique est sensiblement la même, c’est-à-dire que l’on détermine les variables du projet et on observe l’apport du géosynthétique en fonction de différents paramètres. L’intégration d’un géosynthétique de renforcement permettra d’augmenter le coefficient structurel de la chaussée, et donc le volume de circulation que pourra supporter la route.
Les géotextiles tissés haute performance RSi et H2Ri son calibrés et intégrés à des outils de conception gratuits disponibles en ligne.
Choisir son approche
Les produits et outils de conception sont disponible et à la disposition de tous, il ne reste qu’à déterminer dans quel but les utiliser. Deux approches : l’approche économique et l’approche qualité. L’approche économique est d’utiliser les géotextiles haute performance afin de réduire l’épaisseur de granulaire requise afin d’obtenir une fondation de capacité portante ou une route de résistance similaire à ce qu’on aurait conçu sans géotextile. En employant des produits performants, on réduit les coûts d’excavation, de remblai, de matériau granulaire, et donc le coût total du projet. L’approche qualité consiste à conserver l’épaisseur granulaire requise ou la diminuer légèrement afin d’obtenir un ouvrage de résistance et durabilité supérieure. Quoi qu’il en soit, là où les géotextiles et géogrilles conventionnels ont atteint leurs limitations, les tissés haute performance RSi et H2Ri sauront assurément prendre le relais!